A table pendant mon repas. - Dis papa, tu veux bien prendre le bain avec moi, s'il te plaît ? Surpris par une demande si gentille, papa accepte.
Mais v'là qu'j'ai un morceau de tartine qui se colle à mon palais. J'ai horreur de ça, ça me fout une de ces trouilles... même que c'est sans doute pour cela que je ne veux manger qu'avec des gens que je connais. J'me mets aussitôt à hurler. Maman comprend tout de suite le problème et me demande d'ouvrir la bouche. Le temps qu'elle me gratte le palais, chui paniqué et me venge en la pinçant. Elle se fâche, aussitôt embrayée par papa. Moralité, papa exige que je m'excuse auprès de maman et que je la remercie d'avoir ôté le bout de pain collant. Je refuse. Papa me dit alors qu'il ne prendra pas le bain avec moi si je ne le fais pas. Colère de ma part. Papa entre alors dans un long discours. Je le sens très fâché, même s'il ne crie pas. Il aligne des mots qui m'entrent par une oreille et ressortent par l'autre : tu t'excuses... pas une raison... problème... appeler... maman, à l'aide... pas mordre ou pincer... plus un bébé... Te laisserai pas faire... demander pardon... dire merci... suis là pour t'aider...envie de prendre le bain avec toi... peux pas te laisser faire... parce que je t'aime.* Et il disparaît.
Dix minutes après, chui toujours à table en train de râler dans mon coin. Papa revient. - Alors Lou, tu t'es excusé ? - Non, je veux pas... - Et bien je ne prendrai plus de bain avec toi aussi longtemps que tu ne l'auras pas fait. - Pardon maman... - Je veux que tu dises : pardon maman de t'avoir pincé. - Pardon maman d'avoir été dans la tondeuse. - Non Lou ! Ne fais pas l'andouille. Je veux que tu me dises bien la phrase, tu en es capable. Il me la répète. J'fais l'idiot : - Pardon maman en piapaille mince. Papa répète une nouvelle fois la phrase. - Pardon Marie-Anne de pincer Bon-Papy. Au bout de dix minutes où je fais le bébé Cadum, j'obtempère. - Pardon maman de t'avoir pincé. J'crois en être quitte mais papa revient à la charge. - C'est bien Lou. Maintenant, je veux que tu dises : merci maman de m'avoir enlevé le bout de tartine de ma bouche. - Non. - Comme tu veux mon garçon. Tu connais les conséquences.
Moralité, je mettrai dix bonnes minutes à formuler la phrase correctement comme cet emm... le demande et redemande inlassablement : - Merci maman d'avoir enlevé ma bouche. - Non Loulou. Tu es capable de bien parler. Recommence.
A chaque fois, il me répète la phrase, j'enchaîne, me perdant dans le dédale des mots. - Merci Monsieur René... - Non Lou ! - Merci maman d'avoir enlevé... Papa me souffle la suite de la phrase. - ...le bout de tartine de Marie-Anne. - Non petit Lou. Tu peux y arriver. Concentre-toi. Tu peux bien parler. Tu es capable de dire (...). Vas-y ! - Merci maman, d'avoir enlevé... euh... Papa me souffle dans l'oreille : - ...le bout... - le bout de tartine... euh... de tartine. - ...co... ? - collé dans ma bouche. Papa me serre dans ses bras. - C'est bien, mon Loulou. Tu vois que tu peux le faire. J'lui répond, tout fier, avec mon sourire banane : - Merci maman d'avoir enlevé le bout de tartine collé dans ma bouche. Maman qui était restée tout le long à nos côté me répond : - Merci Loulou. Les bisous fusent. Le drapeau blanc est hissé ...et papa accepte de venir dans le bain avec moi. (*) la réponse de papa sur "Lettres à Lou" Le blues du combattant
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