Le sablier indique : 17h05. Alors que j'me remets à peine de l'épreuve précédente et que j'ai envie de jouer avec Eva, le gong retentit : - Lou, qu'as-tu fait aujourd'hui à l'école ? Ça y est, v'là l'épreuve des questions à la c... du Père Fouras. J'passe. Mais y'a rien à faire : - T'as été à la gym ? - Non, Monsieur Lucien n'était pas là. Bonne réponse. J'crois en être quitte. - Et après t'as fait quoi ? - Rien, Joëlle, elle était aussi malade. Premier tour de vis. - Là, tu dis des carabistouilles. Aaah, il en demande ? J'lui déballe mon laïus préformaté : - Et alors j'ai fait le bébé Cadum avec Joëlle qui était malade, et monsieur Guy s'est fâché en "piapaille" mince, et le petit chien courage a dit un gros mot. Deuxième tour de vis. La voix du père n'est plus sympa du tout : calme, mais ferme. Presque sympa. - J'ai tout mon temps, mon fils. Je ne te lâcherai pas aussi longtemps que tu ne m'auras pas bien expliqué ta journée. - Je sais pas. - Et bien tu réfléchis... - Non, je suis un bébé Cadum. - Tu n'est pas un bébé Cadum, tu es Lou, mon grand garçon. - Je veux pas être Lou. Au bout de dix minutes de mutisme ou d'obstruction, je retente le coup du n'importe quoi. Silence en face. ... Long silence... - Papa ? - Et j'ai été en Marie-Anne en "piapaille" mince. Qu'est ce qu'il me fait là, le vieux ? Je souris. - Papa ? - Et je veux de l'eau dans la poubelle et Bon-Papy a vu les papous de Geert avec des gros mots. J'me marre. - Kesk'y a papa ? - Et "piapaille", et Archive a écrasé Merlu chez Monsieur Guy qui est malade. Bizarre. Il m'intrigue là, tout d'un coup. Puis, il ne me fait plus rire. A chaque fois que j'lui cause, il me ressort mon répertoire. Puis, il ajoute au passage : - Et je fais comme toi, et je te réponds pas, et je veux rester un bébé Cadum. J'hésite encore à lui causer. J'essaye timidement : - Ça va papa ? - Ça va très bien, et toi ? Ouf, il est redevenu normal. - Tu aimes quand je réponds n'importe quoi ? - Non, hein... J'me blottis contre ses épaules. - Tout va bien... Tout va bien... - Mais oui, tout va bien. Je veux juste qu'on communique, Lou. J'ai envie de savoir ce que tu as fait, parce que je suis curieux. Et il rajoute : - ...Et je suis curieux parce que je t'aime. - Moi aussi, je t'aime, mon papa. - Allez, raconte-moi, qu'as-tu fais chez Joëlle, en psychomotricité. L'émotion me gagne. J'ai soudain envie de pleurer. Les câlins viennent à ma rescousse. Les mots aussi, habituels. sauf que cette fois papa me parle du fait que je suis aveugle, de mes difficultés, de son rôle de m'aider. En réponse, je me lance spontanément dans le récit : - Le petit Chien Courage a été sur le fauteuil à roulette de la psychomot., et il a eu peur. - Et toi, as-tu aussi eu peur ? - Non, c'était le petit Chien Courage. - Mais tu étais aussi sur le fauteuil ? - Oui. - Et tu n'avais pas peur ? - Si, ...et le petit Chien Courage aussi. - Et as-tu dis à Joëlle que tu avais peur ? - Oui. Puis après j'ai été dans le hamac. Le sablier indique 17h25. Second accessit. Le jury me félicite chaleureusement.
(voir bientôt "Troisième épreuve : le saut dans le vide" )
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