Petit Prince,
La noblesse coule en ton sang. Non pas celle d'une aristocratie née d'une sélection, du pouvoir ou de la richesse, mais bien dans le sens de la pureté de tes sentiments.
Tout enfant naît ainsi. Chaque enfant est un Petit Prince. Ce n'est que la vie et son cortège de misères qui ternissent et polluent imperceptiblement le précieux liquide, jusqu'à le rendre âcre et terne. Inexorablement.
T'ai-je jamais raconté l'histoire de ces chercheurs qui ont séparé des jumeaux nouveaux nés, pour vérifier que l'environnement était le principal vecteur de leur bon développement intellectuel et physique ? La science s'égare si souvent en niant le bon sens et l'évidence, son rôle étant de prouver les choses. Mais à quel prix.
Ainsi donc, il y a des millions et des millions de petits princes qui, chaque jour atterrissent sur notre planète. Tous sont différents, uniques. Mais peu rencontrent un environnement propice. Peu finissent en Roi, souverain de leurs actes et pensées, maître de leur destin, et respectueux des millions de petits royaumes qui jouxtent le leur.
Car vois-tu, il est un paradoxe -une fois encore- qu'il me faut t'expliquer : au lieu d'élever les petits princes en leur apprenant à cultiver leur propre richesse, à découvrir celle des autres, le monde dans lequel nous nous trouvons se construit sur l'appât des richesses des autres. Un roi n'est Seigneur qu'au prix de la conquête des autres et de leur pouvoir. La respectabilité ne se bâtit non pas sur le respect mais sur des normes obsolètes pour un monde qui se prétend aussi évolué que le nôtre.
Tu vois, je suis aussi interdit que toi face à la planète où je suis né. Je suis sidéré d'observer un monde ayant atteint l'intelligence et les capacités qui sont les siennes aujourd'hui, mais qui reste incapable de révolutionner sa pensée ou tout le moins, à mettre en application les idées révolutionnaires.
Il est des lois et des droits, imaginés depuis des siècles ou des milliers d'années, que des peuples, des nations unies ou des religions ont adoptés, mais qui restent dans la réalité lettres mortes.
Dix commandements, trois mots, et une charte universelle suffirait à régir le monde. Comment est-il possible que ces évidences communes ne soient pas réellement appliquées. Oui, je suis un utopiste. Je suis né comme cela. C'est ma différence à moi. Ma planète.
Oui, oui, oui. Trois fois oui. Et tant pis si l'on me prend pour un naïf, un idéaliste et un rêveur. Ces trois mots rassemblés forment l'utopie. Et crois-moi, Petit Bonhomme, il n'y a pas plus belle pensée. Sans elle, il n'y a plus de perspectives. Sans perspectives, l'avenir se meurt. Et sans avenir, nous mourrons.
Et si je te raconte tout cela, c'est tout simplement parce que le respect que je te dois, ainsi qu'à ton univers, ta différence, j'entends le partager avec ceux qui voudront bien l'entendre. Car de mon côté, je me battrai pour qu'une place te soit faite dans notre monde. Je ne peux admettre, et je n'admettrai jamais que si un jour, tu retournais te terrer sur ta planète, ce le serait parce que notre monde n'a pas été capable de t'accueillir. Toi et tous les autres petits princes comme toi. Toi. Comme moi, comme mes princesses, ou ma reine.
Oui, oui, oui. Trois fois oui. Aux mots : Egalité, Fraternité et Liberté. Dans cet ordre.
Il y a de la place pour tous sur notre planète. Chacun a le devoir de respecter la vie de l'autre. Et chacun a le droit de vivre sa vie.
Nous sommes six milliards de Rois, de Reines, de Princes et Princesses. Nous sommes tous une part de ce que certains appellent Dieu. Nous sommes nobles dans nos sentiments profonds. Mais la peur est si grande.
Car, vois-tu, nous aussi nous avons nos peurs. La peur de l'autre.
Tu n'es pas seul, Petit Prince. Et tant que la vie sera en moi, je serai à tes côtés. Car nous sommes faits du même sang.
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